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    Bernard
    Invité

    Résumé de la discussion du samedi 27 janvier 2024 : « Quelles sont les conditions et les limites de l’amitié ? »

    Cette question part du constat que l’on voit très peu de traces d’amitié dans la société actuelle, et nous amène ainsi à nous demander comment l’on pourrait créer les conditions pour que l’amitié, (ou peut être plutôt les amitiés) s’y développent. Ce qui présuppose que, pour qu’une société soit en bonne santé, elle doit être irriguée par l’amitié.
    Les premières conditions de l’amitié (c’est-à-dire conditions pour devenir amis et pour le rester) qui ont été mentionnées au cours de la discussion, sont : le fait de partager les mêmes opinions ou plus généralement être dans le partage d’expérience, être à l’écoute de l’autre, ou encore qu’il existe une certaine complicité naturelle entre les amis, complicité basée sur le désir de connaitre l’autre.
    Il a été dit également que le sentiment de l’amitié nous « tombait dessus » sans qu’on l’ait toujours recherché, un peu comme l’amour mais sans le sexe, fruit d’une attirance.
    Il a alors semblé qu’il fallait distinguer deux phases : les conditions pour devenir amis d’une part et les conditions pour rester amis d’autre part.
    Lorsqu’un désaccord survient entre amis, celui-ci est vécu comme un test de l’amitié. Ce qui signifie alors qu’une véritable amitié dépasse les désaccords. On retrouve cette idée selon laquelle l’amitié est au-delà des opinions et des jugements dans la formule (attribuée à Aristote) : « Celui qui n’est plus ton ami, ne l’a jamais été ». Pour certains ce dépassement des désaccords n’est vrai qu’en cas de désaccord intellectuel, sur les opinions politiques par exemple, et l’on peut même dire à l’inverse que la contradiction et le désaccord intellectuel, loin de nous éloigner de notre ami, peut au contraire, en nous enrichissant, nous en rapprocher. Mais la question du maintien de notre amitié se pose lorsque l’on est, non plus seulement contredit par l’opinion de son ami, mais choqué par son attitude, son comportement, et donc son éthique personnelle. Il faut partager les mêmes valeurs pour être amis.
    L’idée de dépassement des désaccords, qui peuvent se produire éventuellement plusieurs fois, nous montre que l’amitié dépasse le temps, elle se renforce même au cours du temps. Elle requiert l’authenticité de chacun. Elle nécessite également de la tolérance réciproque, de la nuance dans les paroles.
    On remarque d’ailleurs, que, dans tous ces cas cités, le rôle de la parole y est important, pour exprimer notre envie de comprendre l’autre. Est-ce que cela voudrait dire que le silence ruinerait l’amitié entre deux êtres humains ? Dans la discussion il apparait que non le silence ne détruit pas le sentiment d’amitié qui se retrouve intact même au bout de dix ou vingt ans.
    Une autre façon de penser le désaccord est d’en faire, plus qu’un test de l’amitié, la condition nécessaire pour devenir ami : l’amitié n’existe qu’après l’épreuve du désaccord, avant cette épreuve elle n’est que copinage ou camaraderie. Mais ces amitiés de circonstances, qui se créent entre des personnes, au gré des mouvements d’humeur, par exemple en s’opposant ensemble à la même contrainte ou à la même personne (supérieur hiérarchique … ), ne sont pas de vraies amitiés, car elles seraient fondées sur un intérêt et si l’intérêt disparait alors disparait aussi l’amitié.
    Ainsi s’effectue un tri, une sélection, de nos amis, entre ceux que l’on souhaite conserver et ceux que l’on veut ne plus considérer comme ami.
    La question a aussi été posée de l’intensité de l’amitié. Le lien d’amitié est-il binaire : nous sommes « amis » ou « pas amis » sans nuance, ou bien, existe-t-il des degrés dans l’amitié ?
    L’idée de partage (d’opinions, d’expérience …) comme conditions de l’amitié présuppose l’idée de réciprocité de l’amitié. Nous ne pouvons pas être ami avec quelqu’un qui ne souhaite pas être ami avec nous. Mais aussi, nous attendons, en retour de l’amitié que l’on donne, une reconnaissance (dont nous avons psychologiquement tous besoin). L’amitié ne serait-elle que reconnaissances réciproques ? Peut-on dire que l’on a un besoin d’amis ?
    A l’inverse de cette réciprocité, l’amitié peut être considérée comme un sentiment ou une vertu personnelle que nous avons pour les autres, sans que les autres n’aient le même sentiment pour vous. Nous pouvons alors dire que nous « nous sentons en amitié », nous « sommes en amitié », avec une autre ou plusieurs autres personnes. Nous pouvons même considérer que l’on peut être « en amitié » avec tout le monde a priori. Ainsi il a été dit : « je suis amie avec tout le monde, jusqu’à preuve du contraire ». Nous serions alors tous amis par défaut, et c’est le désaccord, la brouille, la dispute … qui nous délie de l’amitié.
    Les conditions objectives de l’amitié, comme nous les avons définies ci-dessus (mêmes opinions, partage d’expérience, être à l’écoute, complicité naturelle) sont nécessaires, mais il y faut aussi une condition psychologique et subjective supplémentaire, pour accepter de franchir le pas de l’amitié : le désir de connaitre l’autre, et le besoin d’aimer. Et l’on doit trouver dans l’amitié une satisfaction, un réconfort, un certain plaisir.
    L’amitié a aussi une dimension sociale ; elle conforte la société par les liens qu’elle y développe, comme le sous-entendait la question initiale.
    Mais elle peut avoir ici une dimension négative de fracturation de la société en groupes d’affinités ou d’intérêts. Elle fait se distinguer du reste de la société, des groupes de personnes qui se lient d’amitié, créant ainsi un entre-soi qui exclue les autres. Ainsi, à l’instar de la fraternité qui a une face négative, communautaire, et une face positive, universelle, l’amitié a également deux faces : d’une part elle peut développer un entre-soi lorsqu’elle est basée seulement sur des liens d’affinités ou d’intérêts, mais d’autre part elle lie potentiellement tous les membres de la société par-delà les groupes d’appartenance, et ouvre ainsi celle-ci sur l’universel. Néanmoins on peut remarquer que les liens d’amitié entre personnes de cultures différentes sont plus difficiles à établir.
    Dans notre culture, l’amitié est valorisée socialement, et cette valorisation de l’amitié est un élément de la socialisation des enfants. Dans la famille comme à l’école, avoir des amis, est considéré positivement. On retrouve le terme « Amitiés » utilisé comme formule de politesse à la fin d’une lettre ; abus de langage qui montre ce rôle de lien social de l’amitié. Mais cette valorisation sociale de l’amitié a sa face négative : elle peut véhiculer une certaine violence sociale. Les enfants entre eux, par exemple, se moquent de ceux qui n’ont pas d’amis, ou parfois, menacent leurs camarades de ne plus « être leur ami »
    Nous vivons dans une société qui promeut les « liens faibles » entre les gens (importances du réseau de connaissances, rôle des réseaux sociaux …), qui sont plus efficaces dans notre vie sociale (pour trouver un travail, pour réussir …). Ces liens faibles facilitent-ils ou nuisent-ils à l’établissement de véritables liens d’amitiés ? Ils s’en distinguent en tout cas, par le fait que l’amitié touche à l’intime, alors que les liens faibles sont superficiels. Ainsi, face à la multiplication des liens faibles dans notre société, et à l’élaboration d’un homme unidimensionnel, l’amitié serait-elle subversive ?
    L’accent a été mis également sur le fait que quand on parle d’amitié on ne parle pas de contrat, nul contrat entre deux amis, car qui dit contrat dit méfiance vis-à-vis soit de l’autre soit des autres.
    Montaigne et La Boétie ont été cités pour illustrer l’amitié authentique « parce que c’était lui, parce que c’était moi ».
    Bernard et Marie-Christine

    Pour aller plus loin …
    Documentation en rapport avec le thème de l’Amitié:
    Dictionnaire de philosophie de Christian Godin :
    AMITIÉ
    n. f. (lat. amicitia)
    1. Affection réciproque liant deux personnes et relation résultant de cette affection. Le champ d’extension du terme d’amitié est plus étroit que celui d’ami (on peut être « ami du genre humain » comme le philanthrope, sans pour cela éprouver au sens rigoureux de l’amitié pour lui. D’ailleurs, en ce cas, la règle de la réciprocité disparaîtrait).
    2. Chez Empédocle (483-423 av. J.-C.), l’Amitié (Philia), qu’on écrit avec majuscule, est la force de liaison qui organise les êtres et les choses dans le cosmos, par opp. à la Haine (Neikos), force de dissociation qui tend à faire revenir les éléments au chaos. Freud établit une analogie entre les deux pulsions fondamentales, Éros et Thanatos, et les deux principes d’Empédocle.
    3. Aristote (384-322 av. J.-C.) appelle amitié (philia) le lien social et politique qui unit les individus. La dimension subjective intime qui à nos yeux fait la nature même de l’amitié est presque totalement absente. L’amitié chez Aristote joue un rôle médiateur entre la sagesse contemplative (sophia) et la sagesse pratique (phronèsis) en permettant à l’homme vertueux de partager la vertu avec ses semblables.

    Dans La pratique de la philosophie de A à Z de Laurence Hansen-Love et autres :
    AMITIÉ
    (n. f.) ETYM.: latin amicitia, ” amitié », équivalent du grec philia.
    SENS ORDINAIRE: lien de sympathie et d’affection entre deux (ou plusieurs) personnes, qui ne repose ni sur l’attrait sexuel ni sur la parenté.
    CHEZ ARISTOTE: attachement sélectif entre deux personnes ; bienveillance active et réciproque qui en résulte; l’amitié parfaite (c’est-à-dire authentique) a pour condition la vertu des amis (Éthique à Nicomaque, livres VIII et IX).
    Le mot grec philia comporte un sens large (sentiment d’attachement et d’affection pour les autres) et un sens étroit auquel Aristote* s’est plus particulièrement attaché. L’amitié vraie, qu’il appelle « amitié parfaite », est sélective, rare et recherchée. Elle comporte trois caractères bien spécifiques :
    1. Elle est une vertu*, c’est-à-dire qu’elle n’est ni une puissance* (une simple disposition) ni une passion, mais une disposition permanente acquise par habitude et entretenue activement.
    2. L’amitié accomplie relève d’un choix libre et d’une décision partagée de bienveillance réciproque.
    3. L’autre est aimé pour lui-même et non pour les bénéfices que je peux tirer de cette amitié (amitié utile, amitié plaisante).
    Quoique d’inspiration plus chrétienne, la conception kantienne de l’amitié (doctrine de la vertu) est tout aussi exigeante réalisant un subtil équilibre entre l’inclination naturelle et le respect, l’« amitié parfaite » n’est peut-être alors qu’une « pure idée », rarement réalisée dans les faits. Aujourd’hui, le philosophe Paul Ricoeur*, s’il suit Kant* dans son refus de dissocier l’amitié de l’obligation morale, admet en même temps avec Aristote que cette bienveillance partagée est peut-être la forme la plus accomplie de notre humanité. Dès lors, il faut considérer non seulement que l’amitié rend heureux, mais qu’elle est « en un sens, le bonheur même », dont elle partage également la « vulnérabilité ».
    TERMES VOISINS : affection ; sympathie. TERMES OPPOSÉS : haine ; indifférence inimitié.
    CORRÉLATS : amour ; bonheur ; philosophie; sagesse; vertu.

    Dictionnaire philosophique de André Comte-Sponville :
    AMITIÉ
    La joie d’aimer, ou l’amour comme joie, qu’on ne saurait réduire ni au manque ni à la passion. Non qu’il les exclue : on peut manquer de ses amis comme de tout, et il n’est pas rare qu’on les aime passionnément. Mais ce n’est pas toujours le cas – il y a des amitiés pleines et douces, d’autant plus fortes qu’elles sont plus sereines -, ce qui interdit de confondre l’amitié (philia) avec le manque ou la passion (éros). Il n’y a pas d’amour heureux, tant qu’il est manque, ni serein, tant qu’il est passion. Cela dit, par différence, ce qu’est l’amitié : ce qui, dans l’amour, nous réjouit, nous comble ou nous apaise. C’est aimer ce qui ne manque pas, ou plus : l’amitié est un amour heureux, ou le devenir heureux de l’amour.
    Une autre différence est la réciprocité nécessaire. Nous pouvons aimer qui ne nous aime pas, c’est ce qu’on appelle un chagrin d’amour, mais point tout à fait être l’ami de celui que nous ne croirions pas être le nôtre. En ce sens, il n’y a pas d’amitié malheureuse (le malheur ne vient à l’amitié que de l’extérieur, ou de sa fin), ni de bonheur, sans doute, sans amitié. « Aimer, c’est se réjouir », écrit merveilleusement Aristote. Cela, qui n’est pas toujours vrai de la passion, tant s’en faut, dit l’essentiel de l’amitié : qu’elle est une joie réciproque, que chacun tire de l’existence et de l’amour de l’autre. C’est pourquoi les amis ont plaisir à se connaître, à se fréquenter, à se parler, à s’entraider… Sans ce plaisir-là, qui trouverait la vie agréable ? « L’amitié est ce qu’il y a de plus nécessaire pour vivre, écrit Aristote, car sans amis personne ne choisirait de vivre. » Je ne sais si cela est tout à fait vrai. Mais rien ne me rend Aristote et l’amitié plus aimables.
    Il n’y a pas à choisir entre l’amitié et la passion, puisque celle-ci tend ordinairement vers celle-là. Ainsi dans le couple ou la famille (« la famille est une amitié », écrit Aristote), quand ils sont heureux.
    Ni entre le désir et l’amitié, puisque rien n’interdit de désirer ses ami(e)s, et puisque l’amitié, comme dit encore le Philosophe, « est désirable par elle-même ».
    Mais ni la passion ni le désir n’y sont nécessaires, pas plus qu’ils n’y suffisent. Rien n’y suffit que l’amour : l’amitié, même réciproque, « consiste plutôt à aimer qu’à être aimé », souligne l’Éthique à Nicomaque, et c’est en quoi « aimer est la vertu des amis ». L’amitié est à la fois un besoin et une grâce, un plaisir et un acte, une vertu et un bonheur. Qui dit mieux ? Ce n’est pas l’amour qui prend (éros), ni seulement l’amour qui donne (agapè). C’est l’amour qui se réjouit et partage.

    #1395 Répondre
    Sahade
    Invité

    Merci Bernard))

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