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    Bernard
    Invité

    Résumé des interventions lors de la séance du 23 mars 2024 :
    Il s’agit dans cette question de considérer la mort comme la fin de la vie et non la mort en général, et aussi d’envisager sa propre mort plutôt que la mort des autres. La question part du fait que la mort semble angoisser la grande majorité des gens, bien qu’a l’inverse certaines personnes n’en ait aucune crainte.
    La première raison de la peur de la mort qui a été évoquée est notre instinct de vie qui nous pousse à vouloir perdurer. Mais l’homme, qui se distingue de l’animal par la conscience de sa propre mort, invente des dispositifs pour évacuer cette peur de la mort : les prises de risques comme le parachutisme, les spectacles de cirque « sans filet » qui permet ainsi aux spectateurs d’évacuer leur peur de la mort. En revanche les pouvoirs (politiques ou théologiques) cherchent à accentuer cette peur de la mort (par des spectacles ou des représentations) pour assoir leur domination sur la population.
    L’image de la mort, et notre représentation de la mort en général, est effrayante comme celle mise en scène par les religions (l’enfer), signifiant ainsi que celle-ci vient mettre fin aux plaisirs de cette vie.
    La peur de la mort a plusieurs causes, ou plutôt plusieurs compréhensions :
    1°) la peur de souffrir pour mourir, peur de notre « fin de vie ».
    2°) la peur de l’inconnu, de ce passage de la vie à la mort, et de cet état que nous appelons « mort » mais dont nous ne pouvons pas avoir fait l’expérience, dont nous ignorons tout.
    3°) la peur de faire du mal aux autres, à notre entourage en particulier, par notre disparition.
    La crainte de mourir, de disparaitre, n’est-elle pas d’ailleurs liée à l’espoir de ne pas mourir ?
    La peur de la mort, et peut-être la peur en général, peut être comprise comme peur de perdre le contrôle sur nous-mêmes, aussi la peur est une émotion utile.
    Mais il faut distinguer, d’une part, la peur instinctive qui relève de notre part animale, peur de perdre le contrôle de nous-même devant le danger, peur fonctionnelle et qu’il nous faut donc apprivoiser pour assurer notre survie, et, d’autre part, l’angoisse, souffrance inutile pour survivre, mais proprement humaine d’aller inéluctablement vers la mort, vers l’inconnu, vers le néant, et qui donne ainsi sens à notre vie (Heidegger).
    Il nous faut peut-être alors distinguer plusieurs sens de la mort : la mort néant, la mort séparation (de l’âme et du corps ?), la mort perte (perte de la vie, de notre finitude ?). Pourquoi ne pas aussi considérer la mort comme une libération, voire comme une délivrance de notre vie contrainte et limitée, faite aussi de souffrance ; ou encore on peut la considérer comme un lâcher-prise ?
    L’angoisse de la mort peut être conjurée par l’acceptation, par le suicide. Cette angoisse et son intensité est d’ailleurs fortement dépendante de notre vécu, de notre culture. Dans certaines cultures la mort est vécue joyeusement. De même, le fait de savoir que notre vie continuera après nous, nous permet de conjurer la peur de la mort. Mais cette acceptation de la mort peut néanmoins être mise en balance avec le mal que nous pensons infliger aux autres par notre disparition. Nous pouvons ainsi être amené à supporter le mal de notre vie actuelle, pour éviter de faire du mal à nos proches. Les religions en revanche, nous amène à supporter les souffrances de notre vie en nous offrant une représentation idyllique de la « vie » après la mort (le paradis). L’acceptation de la réalité de la vie, telle qu’elle est, jusqu’à la mort, n’est-elle pas d’ailleurs la meilleure façon de conjurer la peur de la mort.
    Nous sommes responsables de notre vie, donc de notre mort qui en est la fin, aussi nous devons nous préparer à la mort, et même vivre aujourd’hui comme si c’était notre dernier jour. Nous pouvons aussi, dire comme Platon, que « philosopher c’est apprendre à mourir ».
    Nous avons conscience de notre mort, nous savons qu’elle sera une perte dans l’infini, perte de notre existence et de notre conscience. Aussi nous pouvons nous préparer à la mort en éprouvant, pendant notre vie, l’infini de l’espace et du temps. Mais nous aurons toujours une résistance devant cette perte irrémédiable, un espoir de ne pas mourir.
    Si la peur de la mort est liée à la peur de la vie, alors pour conjurer la peur de la mort, il nous faut être dans l’action, dans l’expérience … pour oublier la peur de la mort.
    Par ailleurs en effleurant la mort, en éprouvant l’infini, on peut se prouver qu’on peut garder notre existence plus longtemps. Par là nous éloignons aussi, non pas la peur de la vie, mais la peur d’avoir des regrets de ne pas avoir fait ce que nous devions pendant notre vie. Ainsi mener une vie bonne, le sens moral, nous permettent d’éloigner la peur de la mort.
    Au terme de notre discussion nous nous demandons ainsi, non plus « pourquoi avons-nous peur de la mort ? » mais « comment ne plus avoir peur de la mort ? ». Nous y répondons en disant qu’il nous faut gouter les infinis possibles dans nos vies ordinaires, dans une contemplation, dans l’action répétitive de notre quotidien, ou bien en nous tournant vers les religions qui nous offrent des kits à penser pour un chemin vers un infini possible.
    La société de consommation actuelle au contraire, en nous masquant la mort au point d’en faire un tabou, nous la rend paradoxalement plus effrayante. L’individualisme contemporain accentuant encore cette peur de la mort. Ces deux phénomènes se cumulant nous obligent à faire d’autant plus d’effort pour l’apprivoiser.
    Bernard

    Documentation pour aller plus loin …
    L’article « Mort » dans La pratique de la philosophie de A à Z de Laurence Hansen-Love :
    « La vie est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort ».
    Par cette affirmation, M.F.X. Bichat – médecin et anatomiste français du XVIIIe siècle – entendait insister sur le fait que la mort est la règle et la vie l’exception, par définition menacée. Les recherches actuelles tendent à montrer que la mort est programmée génétiquement, ruinant ainsi définitivement le vieux rêve d’immortalité. En effet la mort n’est pas seulement, pour l’homme du moins, un simple fait biologique. L’homme est en effet le seul animal qui sache qu’il doit mourir, le seul pour qui la mort est ce qui inscrit la vie dans la précarité. Aussi est-elle d’angoisse. C’est pourquoi l’homme a cherché à y opposer une croyance en un au-delà, croyance qui est au fond de toute religion”. De son côté, la philosophie, dans sa quête de la vérité, se place « sub specie aeternitatis » ou, avec Epicure, cherche à nous convaincre que la mort n’est rien pour nous. Pourtant, la pensée contemporaine et notamment l’existentialisme, loin de se détourner de la mort, la met au centre de sa réflexion, dans la mesure où c’est sur l’horizon de la mort que toute vie humaine peut prendre sens.
    « Philosopher, c’est apprendre à mourir »
    Le Phédon est un dialogue de Platon qui met en scène Socrate, à la veille de sa mort, discutant avec ses amis de la question de l’immortalité de l’âme, et qui s’achève sur cette idée que c’est un beau risque à courir. C’est que l’âme est parente et amie des Idées”, réalités intelligibles, éternellement identiques à elles-mêmes, non soumises à la corruption et au changement comme le sont les choses sensibles qui en sont la copie imparfaite et grossière. La patrie du philosophe est le ciel des Idées, qu’il cherche à atteindre et que la mort lui permet d’approcher. À l’affirmation paradoxale de Platon selon laquelle philosopher, c’est apprendre à mourir semble répondre, pour la contredire, cette proposition de Spinoza au livre IV de l’Ethique, selon laquelle la philosophie est une méditation non de la mort, mais de la vie. A vrai dire, Spinoza vise ici l’attitude morbide qui se complaît dans la fascination de la mort et condamne l’homme à l’impuissance et à la tristesse. Si Spinoza invite ainsi à se détourner de la pensée de la mort, c’est qu’elle est, selon lui, une pensée inutile. Par-delà le christianisme, il rejoint ainsi la sagesse antique du stoïcisme et de l’épicurisme.
    « La mort n’est rien pour nous »
    Épicure, dans sa Lettre à Ménécée, exprime avec une force d’argumentation convaincante cette idée que la mort ne doit pas nous faire renoncer au bonheur, puisque la mort n’est rien pour nous. A travers cette affirmation paradoxale, il entend rejeter au loin la crainte de la mort, qu’il juge absurde. En effet, « tant que nous existons, la mort n’est pas, et quand la mort est là nous ne sommes plus ». Pour Epicure, l’âme est un corps subtil, voué, comme le corps, à la désagrégation. Elle est le siège de la sensibilité, et lorsqu’elle meurt, meurt aussi la sensibilité. La mort ne saurait donc faire l’objet d’aucune expérience vécue, elle ne peut être éprouvée. Et si nous sommes convaincus que la mort est la fin de tout, nous n’aurons ni à redouter ni à espérer une autre vie. Cette vie est au contraire la seule qui puisse nous apporter le bonheur, pourvu qu’elle soit sereine face à la mort.
    La mort à l’horizon de la vie
    Pourtant, s’il est vrai que notre propre mort est un événement auquel nous n’assisterons pas, et qu’elle n’est rien pour nous, la mort d’autrui, ou « la mort en seconde personne », comme la qualifie Vladimir Jankélévitch, nous place devant un scandale qui est celui de la perte d’un être irremplaçable et unique.
    Mais c’est sa propre mort que l’homme doit prendre en charge, car nul autre ne le peut pour lui. C’est pourquoi Heidegger nous invite, dans une perspective pourtant très différente de penseurs religieux comme Pascal ou Kierkegaard, à prendre au sérieux notre propre mort, non comme événement toujours à venir et en même temps absolument sûr, mais comme horizon à partir duquel surgit la pensée du néant, inscrit au sein même de l’existence”. Et si cette conscience du néant s’éprouve dans un sentiment d’angoisse, c’est qu’avec elle nous sommes jetés au monde. L’angoisse ne doit pas être confondue par conséquent avec la simple crainte de mourir. L’angoisse exprime au contraire le fait que notre existence n’a de sens que parce qu’elle est pour-la-mort, en quelque sorte orientée par elle. La mort est, fondamentalement, ce à partir de quoi la vie peut prendre un sens. Assumer notre condition d’être mortel nous oblige à prendre en charge la responsabilité de notre propre vie, mais ne signifie donc nullement l’obligation de méditer sur la vanité de toutes choses.
    TEXTES CLÉS : Épicure, Lettre à Ménécée; Platon, Phédon; M. Heidegger, Etre et Temps (première partie); V. Jankélévitch, La Mort
    TERMES OPPOSÉS : immortalité vie. TERME VOISIN : néant. CORRELATS : âme ; crime ; existence ; mal; sens; temps; vivant.

    Un article de Philosophie Magazine
    La philosophie peut-elle nous aider à avoir moins peur de la mort ?” Charles Pépin le 18/02/21
    Oui, lorsqu’elle nous propose de conduire notre vie pour obtenir avant de mourir une reconnaissance objective de notre valeur. Car si nous allons mourir, notre valeur, elle, ne mourra pas. C’est ce que propose notamment la philosophie hégélienne.
    Oui, lorsqu’elle nous aide à saisir ce qu’il y a d’éternel dans la valeur de nos valeurs (amour, justice, liberté…). Nous ne sommes peut-être pas immortels, mais nous pouvons ainsi « toucher » l’éternité. C’est ce à quoi nous invite la philosophie platonicienne.
    Oui, lorsqu’elle permet de comprendre également la valeur éternelle de certains instants : rien ne pourra jamais faire qu’ils n’aient pas été. Le simple fait qu’ils aient été a une valeur éternelle. Certaines pages de Camus rendent cette évidence sensible.
    Oui, lorsque, telle la pensée d’Épicure ou de Lucrèce, elle nous montre que, plus encore que de devoir mourir un jour, nous aurions surtout pu ne jamais naître. Si l’existence est en elle-même un miracle, la mort est moins scandaleuse…
    Oui encore, lorsque, telle la philosophie stoïcienne, elle nous propose de fréquenter le plus possible l’idée de la mort pour en avoir moins peur : au lieu de refouler la pensée de la mort – ce qui a pour effet de la rendre encore plus angoissante –, essayons de lui faire face et de nous y habituer.
    Il s’agit toutefois d’en avoir « moins » peur ou d’en avoir peur autrement, mais surtout pas d’éradiquer cette peur ni de la vaincre. Nous ne savons pas ce qu’est la mort : il serait absurde de n’en avoir aucune peur. Cette dernière a même pour effet de rendre notre vie plus intense et plus intéressante. L’essentiel est que nous n’ayons pas peur de la vie et saisissions toutes les occasions qu’elle nous donne pour nous ouvrir davantage aux autres, au monde et à nous-mêmes. On pourrait même penser un cercle vertueux de la peur de la mort et d’une vie intense et exigeante. Si la peur de la mort peut tenir lieu de moteur pour une vie d’exigence, l’expression de la vitalité vient en retour atténuer cette peur. Probablement faut-il sur ce sujet adopter un point de vue nietzschéen, c’est-à-dire quantitatif : trop peu de peur de la mort empêche de vivre, trop de peur également. À chacun de trouver son seuil, la dose qui lui convient.

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