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    Bernard
    Invité

    Résumé des interventions lors de la séance du 27 avril 2024
    Problématisation :
    Certains disent aujourd’hui que, partant de ses intuitions (c’est-à-dire en écoutant ses instincts et ses émotions), il faut toujours les faire passer par le filtre de la raison pour en faire quelque-chose, pour passer à l’action. D’autres au contraire, prétendent qu’il faut se reconnecter à son moi profond, se faire confiance, faire confiance à ses intuitions pour prendre une décision, sans faire intervenir sa raison.
    Ainsi la question posée est de savoir si l’on doit toujours faire passer nos intuitions au filtre de notre raison, ou bien si ces dernières doivent être utilisées telles qu’elles nous arrivent à l’esprit.
    Discussion :
    Dans le domaine de la recherche scientifique l’intuition est première, mais elle est ici considérée comme une hypothèse que l’on cherche alors à vérifier rationnellement par une expérimentation. Dans cette démarche scientifique, l’intuition arrive avant la raison, mais celle-ci est indispensable pour conclure, pour atteindre la vérité, et pour la communiquer par le langage.
    On peut objecter, à l’inverse et ceci, même dans la démarche scientifique, que l’intuition arrive quand la raison n’est pas suffisante pour apporter une solution. L’intuition et la raison agissent ainsi de façon complémentaire et non plus consécutivement.
    Dans le domaine de la création, en particulier en art, on constate qu’intuition et raison, sont non seulement complémentaires, mais qu’elles s’alimentent mutuellement. Un raisonnement peut faire surgir une intuition, de même qu’une intuition peut permettre de résoudre ou de débloquer un raisonnement.
    Mais alors qu’est-ce que l’intuition ? Pour certains elle est cette « petite voix intérieure » qui est l’expression d’un désir, ou d’une peur, ou d’une émotion, alors que la raison nous est apportée de l’extérieur. On peut peut-être aussi considérer que la raison étant ce qui est de l’ordre de la logique, l’intuition relève quant à elle de ce qui ne peut se rapporter à la logique. A l’inverse d’autres considèrent que l’intuition fait partie de la raison, qu’elle en est la modalité qui se base sur l’inconscient, celle qui traite les stimuli non perçus par la conscience. On peut ainsi dire que l’intuition est la raison inconsciente. La raison quant à elle ne pouvant fonctionner que sur la base de ce dont nous sommes conscients.
    On voit donc qu’intuition et raison semblent de toute façon liés, et nécessaires toutes les deux, pour la pensée et l’action. En effet c’est un leurre de croire que l’on puisse être purement rationnel pour une prise de décision, car, nous nous basons nécessairement sur des données subjectives, qui font appellent à des expériences singulières, non partageables, où l’intuition joue un grand rôle.
    La différence entre l’intuition et la raison est aussi une question de temps. L’intuition nous permet d’agir rapidement alors que l’usage de la raison nécessite le temps de la réflexion. Agir selon son intuition, c’est agir vite, sans réflexion, mais cela peut être nécessaire pour réagir devant un évènement qui survient soudainement, mais aussi parce-que le temps de la réflexion est souvent couteux. Par contre, on peut après coup, essayer de remonter, par le raisonnement, à l’origine de nos intuitions, pour comprendre ce qui les a générées. On peut analyser nos intuitions par notre raison pour en tirer des enseignements sur notre comportement.
    Un autre effet de l’intuition est le fait qu’elle permette de transgresser la raison car celle-ci nous enferme dans un cycle de répétition, de standards, de grilles d’analyse etc. L’intuition nous permet de sortir de ces modes de raisonnements structurés qui se répètent. Les grandes innovations viennent souvent d’intuitions personnelles qui allaient à l’encontre de la pensée commune de l’époque.
    Un autre biais dans l’utilisation de l’intuition pour l’action, est que lorsque nous prenons une décision sur la base d’une intuition, et que l’action est lancée, nous cherchons alors souvent, à justifier cette décision initiale par la raison, qui seule permet de communiquer les arguments de la décision, mais pour cela nous évacuons toute nouvelle intuition qui pourrait venir démentir l’intuition initiale sur laquelle a été prise la décision.
    Un paradoxe de la relation entre intuition et raison, est que, la communication des intuitions personnelles passe nécessairement par le langage qui relève de la raison. Le langage nous oblige à rationaliser nos intuitions pour les communiquer aux autres. Ce paradoxe pose ainsi le problème de la construction collective qui, pour être créative, doit prendre en charge les intuitions personnelles, en les communiquant par le langage qui les rationalise.
    Nous avons considéré, jusqu’à ce stade de la discussion, que, dans la majorité des cas l’intuition est une bonne chose. Elle nous mène, avec ou sans l’aide de la raison, dans de bonnes directions. Mais il est possible, à l’inverse, de considérer que l’intuition n’est pas toujours bonne, voire même qu’elle peut être dangereuse, car basée sur des croyances, ou des ressentis de nature inconsciente, qui peuvent nous induire en erreur.
    On peut d’ailleurs remarquer que cette question sur la place de l’intuition par rapport à la raison peut être mise en rapport avec l’individualisme contemporain. L’intuition est aujourd’hui réhabilitée comme un outil de l’individualisme, comme une arme au service de l’individu surpuissant qui affirme : « Je le pense, je le ressens, j’en ai l’intuition, donc c’est vrai » ? Dans le débat public actuel on met en opposition l’intuition et la raison, alors que, comme nous l’avons vu ces deux notions sont toujours liés dans la pratique.
    A cette remarque, on peut répondre que la réhabilitation de l’intuition dans le débat contemporain, provient de l’échec de la raison, de cet excès de rationalisation dans tous les domaines, qui nous a mené à une société qui ne fonctionne pas bien. Il faut certes se garder, à l’inverse, de vouloir laisser libre cours à toutes les expressions des intuitions individuelles qui entraineraient un grand désordre dans la société, mais il est important de replacer raison et intuition chacune à leur juste place.

    Bernard

    Documentation pour aller plus loin …
    Définition de l’intuition dans la tradition philosophique :

    Entrée « Intuition » dans La pratique de la philosophie de A à Z de Laurence Hansen-Love :
    (n. f.) ETYM.: latin intuitio, “regard”
    SENS ORDINAIRE: sentiment non rationnel, difficilement définissable, voire mystique, grâce auquel nous sommes censés « sentir » une vérité ou une réalité.
    PHILOSOPHIE: modalité de la connaissance qui met, sans médiation, l’esprit en présence de son objet.
    L’intuition, pour Descartes, est la conception immédiate et parfaitement claire d’une idée par l’esprit : elle est donc purement intellectuelle (non sensible) et se distingue de la déduction, qui établit ses vérités par la médiation d’une démonstration.
    L’intuition désigne, chez Kant, la façon dont un objet se donne immédiatement à notre connaissance. Or l’entendement humain ne peut penser que des objets préalablement donnés, c’est-à-dire sentis : l’homme n’a accès qu’à l’intuition sensible, l’intuition intellectuelle est réservée à Dieu.
    Pour Bergson, en revanche, l’intuition peut atteindre un absolu : distincte de l’intelligence qui a pour vocation de penser la matière, elle est la seule manière de connaître véritablement, c’est-à-dire directement, l’esprit.
    TERMES VOISINS: évidence; sentiment
    TERMES OPPOSÉS: déduction; intelligence.
    INTUITION PURE
    Chez Kant, ce concept désigne l’espace et le temps: formes a priori de la sensibilité.
    CORRELATS: absolu; certitude; connaissance; foi; intuitionnisme; vérité.

    Entrée « Intuition du « dictionnaire philosophique » d’André Comte-Sponville
    Intueri, en latin, c’est voir ou regarder : l’intuition serait une vue de l’esprit, avec tout ce que cela suppose d’immédiat, d’instantané, de simple… et de douteux. Avoir une intuition, c’est sentir ou pressentir, sans pouvoir démontrer ni prouver. L’intuition se situe en amont du raisonnement. Mais un esprit totalement dépourvu d’intuition serait aveugle. Comment pourrait-il raisonner ?
    Dans la langue philosophique, la polysémie du mot, qui est à peu près inépuisable, s’organise autour de trois sens principaux : ceux de Descartes, Kant et Bergson.
    Pour Descartes, l’intuition est « une représentation qui est le fait de l’intelligence pure et attentive, représentation si facile et si distincte qu’il ne subsiste aucun doute sur ce que l’on comprend » (Règles pour la direction de l’esprit, III).
    C’est la simple vision intellectuelle du simple: vision évidente de l’évidence. « Ainsi, chacun peut voir par intuition qu’il existe, qu’il pense, que le triangle est délimité par trois lignes seulement et la sphère par une seule surface.”
    S’oppose en ce sens à la déduction ou au raisonnement, mais aussi les permet : ce sont comme des chaînes de pensées, dont chaque maillon doit être vu par intuition pour que la chaîne elle-même soit saisie ou suivie par « un mouvement continu et ininterrompu de la pensée qui prend de chaque terme une intuition claire ». Pour comprendre que 2 et 2 font la même chose que 3 et 1, explique Descartes, « il faut voir intuitivement, non seulement que 2 et 2 font 4, et que 3 et 1 font 4 également, mais en outre que, de ces deux propositions, cette troisième-là se conclut nécessairement ». Ainsi l’intuition peut se passer de raisonnement, non le raisonnement se passer d’intuition.
    Chez Kant, l’intuition est aussi une façon immédiate, pour la connaissance, de se rapporter à un objet quelconque : elle est ce par quoi un objet nous est donné (C. R. Pure, « Esthétique transcendantale », § 1). Mais l’homme ne dispose d’aucune intuition intellectuelle ou créatrice. Il n’a d’intuition que sensible et passive : l’intuition est la réceptivité de la sensibilité (elle ne contient que la manière dont nous sommes affectés par des objets), dont les formes pures sont l’espace et le temps. S’oppose à la connaissance par concepts, qui n’est pas intuitive mais discursive : « Des pensées sans contenu sont vides; des intuitions sans concepts sont aveugles» (C. R. Pure, «Logique transcendantale», Introd., I).
    Chez Bergson, l’intuition est surtout une méthode : c’est retrouver les vrais problèmes et les vraies différences (celles qui sont de nature, non de degré) en se transportant à l’intérieur d’un objet, pour coïncider avec ce qu’il a d’unique et par conséquent d’inexprimable », spécialement avec sa durée propre et son essentielle mobilité. Penser intuitivement, c’est penser en durée et en mouvement. L’intuition s’oppose en ce sens à l’analyse (qui exprime une chose en fonction de ce qui n’est pas elle ») ou à l’intelligence (qui part de l’immobile), comme la métaphysique s’oppose à la science (qui ne connaît guère que l’espace) et comme l’absolu s’oppose au relatif (La pensée et le mouvant, II et VI; voir aussi Deleuze, Le bergsonisme, PUF, 1966, chap. 1).
    On voit que l’intuition, dans les trois cas, est définie positivement, mais de trois façons différentes: elle est la condition de toute pensée (Descartes), de toute connaissance (Kant), enfin de toute saisie de l’absolu, qui est esprit, durée, changement pur (Bergson). Elle donne à la pensée son évidence (chez Descartes), son objet (chez Kant) ou son absoluité (chez Bergson). Elle n’a en commun, chez ces trois auteurs, qu’une forme d’immédiateté, qui peut servir, pour cela, de définition générale : on peut appeler intuition toute connaissance immédiate, s’il en est une.

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